Des Assises de l’entrepreneuriat, à la préservation du statut fiscal de l’innovation, en passant par la volonté de faire de Paris un grand pôle d’incubation, une véritable prise de conscience émerge, avec une démarche empreinte de pragmatisme au plus haut niveau de nos institutions.
La dernière initiative en date s’est tenue récemment à Bercy avec le séminaire sur « la fiscalité à l’heure du numérique ». Le titre, déjà, a son importance car Madame Fleur Pellerin a bien insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une « fiscalité du numérique » mais d’une « fiscalité à l’heure du numérique ».
Le numérique est enfin pris pour ce qu’il est : un levier, un vecteur, et non comme une finalité.
C’est aussi la première fois que nous entendions une telle convergence des points de vue et des solutions qui ne se focalisent plus sur les acteurs eux-mêmes, mais sur l’inadaptation du système législatif en vigueur. Jamais nous n’aurions cru possible un tel aggiornamento de la part des responsables présents : Trésor français, américain, anglais, commissaires européens, responsables de l’OCDE et Ministres Français.
Cette rencontre a tout d’abord été l’occasion d’établir un diagnostic :
1- La fiscalité existante est définitivement inadaptée à la globalisation des marchés, celle-ci étant amplifiée par le numérique ;
2- Cette situation est inéquitable, crée des distorsions de concurrence, et provoque l’appauvrissement des Etats ;
3- Le principal enjeu du déséquilibre porte sur l’Impôt sur les Sociétés. Le problème de la TVA est sur le point d’être résolu avec la mise en place des règles de territorialité liées à l’acheteur et grâce au guichet électronique.
Trois défis à relever ont été identifiés :
1- la territorialisation (où la capacité à imposer) car la notion d’ « établissement stable » est dépassée ;
2- les règles de détermination des prix de transfert (licence de marque, de technologie, etc.)
3- La neutralisation des distorsions des règles fiscales entre Etats européens (exemple de l’absence de retenue à la source en Hollande, Irlande… mais aussi au Luxembourg, à Chypre…). Ces distorsions mettant en péril l’avenir de l’économie numérique européenne elle-même.
Ces défis concernent toutes les entreprises internationales et non pas seulement celles de l’économie numérique. C’est la mobilité des entreprises, plus que leur numérisation, qui est au cœur de ces évolutions. Une approche sectorielle qui viserait spécifiquement le numérique ne saurait résoudre l’ensemble des problèmes, comme l’illustre l’exemple des réactions indignées contre Starbuck au Royaume Uni, entreprise qu’on ne saurait considérer comme « digitale ».
Alors quelles sont les solutions possibles ? Car il est nécessaire de remédier dès maintenant à ces problèmes : à la fois sous la pression de la crise financière (les Etats ont besoin d’argent), mais aussi sous la pression populaire (pourquoi payer plus d’impôts si certains ne payent pas ce qu’ils devraient payer) et enfin face au constat d’inefficacité des actions au niveau national.
Or, l’Europe se révèle bien démunie pour remédier à ses problèmes. Sa gouvernance en matière de fiscalité nécessite l’unanimité de ses membres, ce qui ralentit considérablement le processus d’évolution pourtant souhaité. Contre toute attente, la solution pourrait passer par l’OCDE à en croire le Rapport BEPS (Base extension & Profit Shifting) qui établit 15 propositions correctives devant être mises en œuvre sous deux ans, soit d’ici 2015.
Car d’après un de ses responsables, il y aurait en effet jusqu’à 2.000 milliards de dollars aujourd’hui dans des paradis fiscaux, légalement placés en franchise d’imposition !
Le rapport a été ratifié par le G20 en juillet 2013. Son objectif est de gommer les effets de bord des mesures évitant la double imposition internationale qui ont conduit à créer des failles permettant une « double non-imposition ».
L’OCDE ayant la faculté de prendre ses décisions à la majorité, elle pourrait procéder à la publication d’une convention multilatérale avec force d’application opposable aux Etats et ainsi se substituer à la renégociation des centaines de conventions bilatérales existantes.
Il aura donc fallu plus d’une dizaine d’années et une crise financière majeure pour qu’un début de consensus apparaisse au niveau des plus hautes instances internationales. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution.
Si l’adage « Un problème bien posé est déjà à moitié résolu » se vérifie, alors il y a tout lieu d’être optimiste sur le rétablissement de conditions équitables favorisant l’innovation technologique et l’entrepreneuriat, un sujet oh combien vitale, une tâche éminemment complexe mais qui pourraient être enfin politiquement rendus possible.
Car nous le savons tous désormais : toutes les entreprises deviennent numériques. L’intégration de la technologie n’est plus une fin en soi mais un moyen de créer de nouvelles ressources et d’inventer de nouveaux business models. C’est cette différence majeure qui est au cœur de la transformation de notre société.
La révolution que nous vivons n’est donc plus simplement celle du numérique, c’est une révolution des business models et la compréhension de cette économie numérique à laquelle l’ACSEL consacre toute son énergie est en voie de convergence avec l’économie tout court. Et si cette convergence s’effectue pour le bien de tous, alors seulement nous pourrons dire que nous avons tous fait notre travail.
Discours de Pierre ALZON, Président de l’ACSEL, lors de l’assemblée générale d’octobre 2013
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