A la fin de l’année dernière, le Président de l’ARCEP donnait une nouvelle estimation des investissements nécessaires pour couvrir le territoire français de fibre optique, estimation moitié moindre de celle jusqu’alors communiquée ! Pour tous ceux qui travaillent directement ou indirectement grâce à ces infrastructures télécoms, cette annonce est une véritable révolution copernicienne, qui n’a suscité qu’un assourdissant silence médiatique. L’Association de l’Economie Numérique (ACSEL) se devait de s’en faire l’écho.
De 42 milliards à 21 milliards d’euros
Jeudi 17 novembre 2011, Jean-Ludovic Silicani, Président de l’Autorité de régulation des télécoms (Arcep), a annoncé que la couverture complète du territoire français en fibre optique prendrait quinze ans et coûterait environ 21 milliards d’euros. 2 seulement auraient été investis à ce jour sur les grandes agglomérations. Au 30 juin 2011, la France recensait 5,8 millions de foyers raccordables à la fibre, en progression de 9% sur un an. Mais seuls 556 000 ménages avaient souscrit un abonnement au très haut débit via la fibre, soit un taux de pénétration d’environ 10%, contre 35% aux Etats-Unis et 40% au Japon.
En octobre 2010, dans le très documenté rapport du Sénateur Hervé Maurey il était indiqué : « Alors que les besoins en capacité des réseaux augmentent de l’ordre de 50 à 60% par an, voire de 300% pour les réseaux mobiles en raison de l’essor des « smartphones », les acteurs tant publics que privés se trouvent confrontés à un défi majeur : celui de l’investissement dans de nouveaux réseaux à très haut débit, suffisamment évolutifs et performants pour satisfaire durablement les besoins des utilisateurs. En effet, les coûts de construction de nouvelles infrastructures très haut débit étant élevés (de l’ordre de 30 milliards d’euros rien que pour une infrastructure fixe déployée sur le territoire métropolitain), les acteurs privés n’assumeront pas seuls les risques financiers, commerciaux ou technologiques liés à leur déploiement..»
En juillet 2009, dans un rapport relatif à la lutte contre la fracture numérique, on pouvait lire : « Or, force est de constater que le déploiement d’un réseau à très haut débit sur l’ensemble du territoire exigera des investissements considérables, sans commune mesure avec l’introduction du haut débit qui a utilisé les possibilités offertes par le réseau téléphonique existant. Un rapport du cabinet IDATE évalue le coût des investissements à 40 milliards d’euros » (http://www.senat.fr/rap/l08-559/l08-55911.html).
En 2007, sur le site télécom.gouv.fr, aujourd’hui remplacé par industrie.gouv ce coût était estimé à 42 milliards. « Selon certaines estimations, pour la couverture d’environ 40 % de la population sur 10 ans, ces investissements se chiffreraient déjà entre 11 et 12 milliards d’euros au total (…/…). Pour couvrir les 60 % les moins rentables de la population, le coût de déploiement des réseaux serait multiplié par plus de trois, à près de 30 milliards d’euros. (…/…)
La fibre optique, levier de croissance pour l’économie digitale
En 5 ans, l’estimation du coût économique du passage en fibre optique a donc significativement baissé. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : d’abord, ces chiffres présentés les uns derrière les autres n’ont de sens que s’ils recouvrent la même réalité opérationnelle. Fixe et/ou Mobile ? 1 Megabit, 10 Mégabits, 100 Mégabits ? Couverture totale ou partielle ? Très Haut Débit (THD) pour tous ou des débits différents selon les zones … ? Autant de précisions qui peuvent conduire à de réelles différences d’appréciation. Ensuite, notre secteur s’industrialisant rapidement, les progrès technologiques ont permis des gains de productivité et donc ont certainement infléchi les coûts d’investissement. De plus, on peut supposer qu’année après année la connaissance du sujet est meilleure et les études se font plus précises. Enfin, ces estimations révèlent peut être des différences d’appréciation économique ou politique, par exemple sur le degré et le niveau d’intervention attendus des acteurs privés ou publics.
Alors que nous entendons parler parfois d’une possible saturation des réseaux filaires et mobiles, cette question du THD est des plus importantes pour nous tous. Le THD et, par voie de conséquence, le raccordement en fibre optique des entreprises et des foyers est une nécessité absolue. L’ACSEL le précisait dans sa réponse à la consultation du plan France Numérique 2020 : « le déploiement du très haut débit à horizon 2020 nécessite l’équipement en fibre optique à une large échelle et la généralisation du wi-fi tant dans les foyers, les lieux de travail que dans l‘espace public ; ceci aura pour effet, entre autres choses, une plus forte pénétration des services domotiques, les services de e-santé, des services vidéo avec un confort d’utilisation supérieur (notamment pour l’accès à partir d’un terminal mobile), la généralisation de la 3D temps réel ainsi que le recours au cloud computing. Mais le THD favorisera surtout le développement économique en encourageant les entreprises, et particulièrement les PME, à innover en faisant progresser leurs offres de produits et services, leurs modes de production et leur organisation commerciale. En agissant vite, notre industrie digitale reprendrait une avance certaine, accélèrerait le basculement dans l’économie numérique constituant un véritable avantage concurrentiel pour toute l’économie France.
La France n’est pas à la traîne sur les infrastructures, la généralisation de l’ADSL nous ayant permis de bénéficier de bons débits et d’une très honorable qualité de service ces dernières années. Mais la France ne peut plus se targuer d’une position avantageuse dans le concert des nations comme elle pouvait le faire il y a encore 4 ou 5 ans.
Financement et planning?
Au-delà du coût estimé, qu’il soit entre 21 et 42 milliards d’euros, se pose la question du financement de ces infrastructures.
L’état actuel des finances publiques n’encouragera aucun gouvernement, quel qu’il soit, à prendre l’initiative spontanée d’en faire un sujet d’investissement national. Le sujet est technique et donc rébarbatif, complexe et par conséquent difficile à présenter aux français comme une mesure de relance par l’investissement favorable à la croissance et donc à l’emploi. D’ailleurs, dans le grand emprunt, la part consacrée aux infrastructures est loin de suffire au besoin de financement, même revu à la baisse.
Le marché des télécoms est désormais entre les mains de quelques acteurs privés et ceux-ci ne peuvent investir massivement dans un tel déploiement dont les retours sur investissement sont à long terme et incompatibles avec les exigences des marchés financiers auxquels ils doivent des comptes. D’ailleurs, comme le précisait l’ARCEP à la fin de l’année dernière, 2 milliards seulement ont été investis à ce jour. A ce rythme, il faudra 15 à 20 ans avant que la France soit équipée, et il est à craindre que de nombreuses zones à faible densité économique et démographique soient délaissées et/ou confiées à la seule intervention des collectivités locales.
Rappelons nous que « les autoroutes de l’information », car c’est bien de cela qu’il s’agit, furent un des thèmes de campagne du candidat Clinton et de son Vice Président Al Gore. C’était en 1992 ! Or, le sujet est à nouveau d’importance et on comprend bien que ni l’intervention publique, ni la seule intervention du marché n’apporteront de réponse rapide à ce qui constitue pourtant un important levier de compétitivité. Seule une action planifiée et coordonnée des acteurs publics et privés peut permettre d’accélérer ce déploiement. Il faudrait pour cela que le THD devienne une priorité nationale. Un sujet clé de la campagne présidentielle ?
Benoît Tézenas du Montcel
Vice Président de l’ACSEL
Directeur Général de Novacom Associés
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